La science au féminin : lumière et coins d’ombre

La science au féminin : lumière et coins d’ombre

Un texte de Valérie Morquette, Conseillère, Communications et relations publiques de l’IRCM

« Malgré ses hauts et ses bas, aucune autre carrière ne m’aurait amené autant de sentiment de fierté et d’accomplissement. » Dre May Faraj, chercheuse et directrice de laboratoire à l’IRCM

Depuis toujours, les femmes ont joué un rôle essentiel dans le développement et la transmission de la connaissance scientifique. Bien avant l’existence de la science empirique, elles étaient partie prenante de l’observation des maladies, de leurs causes et de la recherche de solutions. Ainsi, en dépit de l’oblitération des femmes de divers récits historiques jusqu’à récemment, l’Histoire de la science laisse sporadiquement apparaitre dans sa trame, une figure féminine qui en toute bonne conscience peut difficilement être tue. De Merit-Ptah, femme médecin en chef de la cour de pharaon de la 2e Dynastie d’Égypte, à Marie Curie, la seule personne à avoir reçu deux prix Nobel pour deux sujets différents, à nos chercheuses d’aujourd’hui, l’impact immense des femmes en science n’est ni nouveau, ni discutable. Mais il est peu reconnu. 
Récemment, des sondages montraient qu’un Canadien sur deux est incapable de nommer une femme en science et encore moins ses réalisations. Quand on y pense…

Le 11 février marque la Journée internationale des femmes et des filles en sciences. Ce jour ne suffirait pas à faire le tour de l’apport incommensurable des femmes en sciences ni des défis qui entravent encore la voie. Toutefois, il demeure un bon prétexte pour ramener ce sujet en avant-scène et pour continuer à combattre les inégalités persistantes. Pour l’occasion, les chercheuses de l’IRCM ont accepté de partager leur vécu et leurs espoirs.

L’IRCM, engagé depuis plusieurs décennies

Voilà maintenant près de 40 ans que l’IRCM a accueilli sa première femme chercheuse. À l’époque, nul ne pouvait savoir à quel point cette brillante jeune recrue contribuerait à la recherche scientifique du Québec. Dre Trang Hoang développera sa carrière au sein de l’IRCM et  participera à la création de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie (IRIC), où elle poursuit ses travaux depuis 2003. À l’instar de Dre Hoang, plusieurs autres ont trouvé à l’IRCM un lieu où poser les fondements de leur carrière en tant que chercheuses et directrices de laboratoire. Depuis, elles sont plus d’une douzaine a être passées dans nos murs, notamment l’actuelle Conseillère scientifique en chef du Canada, Dre Mona Nemer.

Aujourd’hui à l’IRCM, nous sommes extrêmement fiers de compter dans nos rangs des chercheuses de calibre international qui contribuent à faire avancer les connaissances en santé et la cause des femmes en science. Nous saluons l’excellent travail de nos chercheuses et directrices de laboratoire, les Docteures Émilia Liana Falcone, Jennifer Estall, Marie Kmita, Marie TrudelMarlene Oeffinger, May Faraj, Nicole Francis et Sophie Bernard, dont nombre s’illustrent comme leader internationale dans leurs champs d’études. En plus de diriger des travaux de recherche de pointe, ces femmes d’exception jouent également un rôle important de mentor, profondément impliquées dans la formation de la relève scientifique, dans la vie académique et dans le rayonnement de l’IRCM, bien au-delà de nos frontières.

Une évolution évidente dans le bon sens

Plus de 100 ans après le premier prix Nobel de Marie-Curie, les temps ont certes changé, et des pas de géants ont été faits. Parmi les chercheuses de l’IRCM, elles sont nombreuses à témoigner du formidable soutien reçu de leurs superviseurs et de leurs collègues masculins, qui les ont encouragées, lors de leur formation, à se dépasser et à croire en leur capacité de devenir des scientifiques indépendantes et directrices de laboratoire de recherche, et ce, contre vents et marées. « J’ai eu la chance d’avoir des mentors exceptionnels qui m’ont soutenue et m’ont aidée à évoluer, sans jamais me traiter différemment de mes collègues masculins »,  avoue Dre Marie Kmita, appuyée par Dre Marlene Oeffinger qui dit : « Je n’ai pas connu de misogynie durant mon parcours scolaire et universitaire, où j’ai d’ailleurs pu participer à des programmes de mentorat encourageant les femmes à poursuivre un parcours scientifique. »

Il est vrai que dans les institutions de formation en recherche et en santé, les femmes sont de plus en plus présentes. Dans de nombreuses universités, elles représentent plus de 50 % des diplômées en sciences biomédicales ou en médecine, et ce depuis les années 90. « En grandissant, je pensais que les défis des femmes en sciences étaient chose du passé, avoue Dre Jennifer Estall.  À l’université, rien ne me laissait présager le contraire, car nos classes étaient remplies de personnes de tous horizons, genres et identités. »

Dans nos institutions de recherche, elles sont représentées à tous les niveaux professionnels. Elles sont directrices de labo, associées, assistantes et techniciennes de recherche, spécialistes de plateaux techniques, etc. Toutefois, si les femmes se lancent allègrement dans les formations en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM) désormais accessibles, à l’arrivée, elles ne représentent que 20 % de la main-d’œuvre en STIM, selon un article publié par Québec Sciences en mars dernier. Elles restent aussi sous-représentées dans les sphères d’influence et de pouvoir.

 « Ce n’est qu’au milieu de mon stage postdoctoral que j’ai commencé à constater le phénomène de retrait des femmes du milieu. Et je ne pouvais pas leur en vouloir, car les défis étaient soudainement de taille, » poursuit Dre Estall.

« Le jour même de ma soutenance de thèse, obtenue avec distinctions, un membre de mon comité m’a déconseillé de poursuivre en académique. C’est une carrière difficile, m’a-t-il dit, surtout pour une femme, une minorité visible et une immigrante, » confie Dre May Faraj.

Ces constatations et les expériences rapportées par les personnes concernées mettent le doigt sur ce qui constitue le nouveau visage de la lutte pour l’égalité des femmes en sciences. Il ne s’agit plus d’accéder à la formation, ou à la connaissance. Il s’agit désormais de disposer des conditions égales pour développer leur plein potentiel et pour accéder aux sphères de décision et pouvoir, au même titre que leurs collègues masculins. 

Des préjugés et stéréotypes bien ancrés

Aussi stupéfiant que cela puisse paraître en 2022, le nouveau visage de la lutte pour l’égalité des chances en science cache les mêmes vieux revers. Les stéréotypes associés aux femmes ont effectivement la vie dure. Parmi eux, le plus dévastateur est sans équivoque celui qui, de manière insidieuse, discrédite leur travail dans le silence le plus complet. Il se traduit d’une part, par un manque de reconnaissance souvent irrationnel de leurs travaux et de leurs résultats, et par un manque de soutien tant moral que financier. 

Tout cela est campé sur une trame de fond archaïque, selon laquelle science et gent féminine ne font pas bon ménage. Ce préjugé bien ancré dès l’enfance, comme en témoigne une étude publiée dans PNAS par Nozek et coll., se reconstitue en biais inconscient et continue d’engendrer des aberrations multiples, même dans un milieu où les évidences et les données probantes font loi. 

Ainsi, même quand elles publient leurs résultats dans de prestigieux journaux scientifiques, les chercheuses ont davantage de difficultés à faire valoir leur candidature comme directrice de laboratoire de recherche. Lorsqu’elles y parviennent, elles ont généralement des salaires moins élevés et reçoivent moins de subventions. À cet égard, une étude phare de la Dre Holly Witteman de l’Université Laval, publiée dans Lancet en 2019, révélait que cet écart avait des conséquences importantes tout le long de leur carrière. Elles sont également moins exposées à la reconnaissance du grand public et moins sollicitées pour commenter les faits scientifiques sur la scène publique, même avec des compétences supérieures. Elles reçoivent moins de prix prestigieux. Cette divergence de traitement, un phénomène nommé « effet Matilda », a été largement étudiée et théorisée par l’historienne des sciences Margaret Rossiter. 

Parallèlement, les femmes en science bénéficient de moins de considération que leurs collègues masculins, notamment en temps de difficultés. Dans les impasses, elles sont plus rapidement confrontées à la remise en question de leurs capacités et de leur productivité. Enfin, la sempiternelle question familiale demeure un gros éléphant dans la pièce, silencieux, mais ô combien présent pour nombre de jeunes chercheuses, alors que sur cette même question, leurs confrères ne sont pas inquiétés.  « Les femmes ne reçoivent pas le même soutien pour se développer comme chercheuses principales tout en ayant une famille, par exemple. Plusieurs considèrent que les sacrifices que cela implique et les difficultés à gérer en valent peu la peine, » explique Dre Marlene Oeffinger.

Pour la petite histoire, rappelons qu’à l’annonce de ses fiançailles, Harriet Brooks, première chercheuse canadienne en physique nucléaire, fut rapidement avertie de la fin immédiate de son contrat de chercheuse au Barnard College à New York, advenant son mariage. Elle dut sacrifier à ses ambitions de cœur sur l’autel de la science. C’était en 1903. Il y a près de 120 ans…

Des mentalités qui évoluent

Heureusement, les choses changent. Les hommes scientifiques de tout âge sont de plus en plus nombreux à se sentir concernés et à prendre position ouvertement pour soutenir le combat de leurs collègues pour l’égalité. 

« Nous côtoyons tous les jours des chercheuses formidables, et plusieurs d’entre nous avons eu des mentors femmes exceptionnelles. Nous constatons les difficultés vécues par nos consœurs et je crois que nous avons tous un rôle à jouer pour que cela change. Heureusement, je sais que mes collègues abondent en ce sens, » déclare Dr Michel Cayouette, vice-président, recherche et affaires académiques et directeur de laboratoire à l’IRCM.

Grâce aux avancées des dernières années, les femmes en sciences sont également de plus en plus nombreuses à prendre leur place, à faire valoir leurs droits, à assumer leur féminité et à revendiquer leur juste place dans les sphères décisionnelles. « Je garde le souvenir de collègues chercheuses qui, en dépit de l’inégalité évidente de chances, ont visé des positions élevées de leadership. Je garde en tête des chercheurs et des chercheuses qui ont ouvertement soutenu leurs  étudiantes ou stagiaires en tant qu’auteures, candidates, ou pour la reconnaissance de crédits intellectuels. Je sais qu’il y a encore des défis pour les femmes en sciences, mais ces exemples de courage et de succès font toute la différence pour moi, car ils me donnent espoir dans l’avenir. » Dre Jennifer Estall 

Pour assurer et accélérer l’évolution des choses, ces enjeux doivent continuer de faire l’objet de conversations ouvertes et d’actions concrètes, aux niveaux individuels et institutionnels. Et pour cela, chaque institution doit agir et se donner les moyens de changer la donne. À l’IRCM, nous sommes déterminés à redoubler d'efforts. « Pour sa part l’IRCM, continuera de faire partie de la solution, en donnant l’exemple d’actions concrètes pour contrer les biais systémiques et traditionnels, a déclaré Dr Jean-François Côté, président et directeur scientifique à l’IRCM. C’est non seulement nécessaire d’un point de vue humain, mais essentiel pour l’avenir de notre milieu. Nous souhaitons être un exemple dans ce sens. »

Le parcours de chercheuse : un cheminement qui en vaut le coup

Bien qu’il faille reconnaitre le chemin parcouru et les enjeux actuels, l’histoire des femmes en sciences est loin d’avoir un sombre avenir. Le cheminement scientifique reste un parcours de vie enrichissant et valorisant pour celles qui l’ont choisi. Bien au-delà des embûches, être Inspiré par la vie au quotidien est une expérience plus grande que nature. Et à l’IRCM, aucune de nos chercheuses ne changerait de voie si c’était à refaire. 

En ce jour, nous aimerions rendre l’hommage dû à l’ensemble des femmes en sciences de l’IRCM, passées, présentes et à venir. À nos chercheuses et professionnelles, merci de contribuer, par l’excellence et la persévérance, à ouvrir la voie pour des centaines d’étudiantes et d’étudiants qui ont besoin de ces importants modèles féminins, de cette représentation si cruciale à l’évolution des perceptions et des mentalités. Aux jeunes femmes en formation, merci de continuer d’y croire. Pour finir en beauté cette belle Journée des femmes et des filles en science, gardons pour la suite, ces quelques mots :

« À la base, je suis passionnée de recherche, et la recherche est mon quotidien. Alors, cela suffit à me garder motivée, malgré les embûches. Il faut y aller avec son cœur. » Dre Marie Kmita.

« Face aux obstacles, j’ai écouté la petite voix en dedans, me rappelant ce qui me passionne à aller de l’avant. Mon conseil aux jeunes futures chercheuses est de faire pareil. Malgré ses hauts et ses bas, aucune autre carrière ne m’aurait amené autant de sentiment de fierté et d’accomplissement. » Dre May Faraj

Au nom de la communauté de l’IRCM, nous souhaitons une journée remplie d’espoir aux femmes et aux filles en sciences d’ici et d’ailleurs!
 

Lire notre article Science au féminin : Elles témoignent…

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